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Parentalité et abandon volontaire d’enfants en Haïti : une compatibilité impensée

Raynold Billy, Olivier Klein

Cadre de la recherche : La pratique de l’abandon volontaire d’enfants est le plus souvent analysée comme un mécanisme de rejet de l’enfant symbolisant pour ses parents biologiques un objet de haine, de douleur et d’impensable. Cette pratique, que Cohier-Rahban (2009) considère comme le premier acte dans le processus d’adoption, est alors envisagée comme un refus ou une négation de la parentalité favorisant l’émergence de nouvelles formes de parentalité, notamment la parentalité adoptive. Du point de vue de cette littérature, abandon d’enfants et parentalité se présentent ainsi comme deux processus séparés et incompatibles. Dans cet article, nous interrogeons cette incompatibilité posée au regard du contexte social hostile d’Haïti. Pour ce faire, nous avons fait le choix de retrouver et de donner la parole à des parents haïtiens qui ont donné leur enfant en adoption internationale.

Objectifs : Notre objectif était de saisir le sens, les fondements et les retombées psychosociales de leur décision d’abandon et de rendre compte de leurs représentations de ces enfants qu’ils ont abandonnés. L’élucidation des différents aspects de ce processus décisionnel pourrait par ailleurs nous permettre de rendre intelligible le lien existant entre cette pratique sociale et la parentalité dans le contexte socioculturel d’Haïti.

Méthodologie : Cette étude a été menée à partir d’une approche qualitative fondée sur une position éthique qui pose l’individu humain comme un être de parole, comme producteur de sens, comme sujet ayant la capacité de mettre des mots sur son vécu, d’expliciter sa propre situation (Giust-Desprairies, 2009 ; Gaulejac et al., 2013). Le corpus de données analysé est constitué de quinze entretiens compréhensifs réalisés avec des parents haïtiens ayant abandonné un enfant. Nous avons soumis le matériau collecté à une analyse de contenu thématique itérative (Paillé et Mucchielli, 2016 ; Glaser et Strauss, 2017).

Résultats : L’analyse des résultats révèle que la pratique de l’abandon volontaire d’enfants comme rupture objective des liens parentaux d’origine constitue une issue de secours, une modalité d’expression dramatique d’une parentalité « impassée » découlant de la fragilisation des conditions d’existence des parents haïtiens évoluant au sein des milieux sociaux précarisés du pays. Au lieu d’être désinvesti, l’enfant abandonné est surinvesti, il est investi d’une mission salvatrice : devenir le sauveur de ceux qui l’ont sauvé. Le récit de son abandon lui attribue ainsi un statut identique à celui de Moïse, prophète et libérateur d’Israël d’après la Bible. Les motifs repérés dans le discours des participants relèvent que la décision d’abandon est un projet parental qui prend le sens d’un confiage et non d’un abandon. La pratique de confiage est en effet un mécanisme culturel de transfert d’enfant qui n’annule pas les liens primaires tissés autour de l’enfant et qui conçoit la famille d’accueil ou la famille adoptive comme une « famille en plus ».

Conclusions : Au vu des résultats, la décision d’abandon, loin de refléter une rupture des liens entre parents et enfants peut être ainsi interprétée comme étant une demande de solidarité internationale autour de l’enfant interrogeant la dimension plénière de l’adoption internationale.

Contribution scientifique : Cette étude met en évidence une compatibilité possible entre parentalité et abandon volontaire d’enfants médiatisée par des représentations parentales ancrées culturellement, et plus particulièrement dans la pratique du confiage.




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