No 22 - 2015
Des violences conjugales aux violences intrafamiliales: quelles définitions pour quelles compréhensions du problème?
Sous la direction de Marylène Lieber, Marta Roca i Escoda
Violences en famille : quelles réponses institutionnelles ?
Marylène Lieber, Marta Roca i Escoda
Si la famille est en général synonyme d’intimité et de relations de confiance, elle peut également être un lieu d’abus, de contrôle ou de violences. Les diverses formes de violences qui se déroulent dans la sphère privée ont été dénoncées dès les années 1970 par les mouvements féministes. Elles ont alors fait l’objet d’une variété de politiques et d’actions publiques ayant pour vocation de défendre et d’accompagner les victimes, de punir et soigner les agresseurs ou de rétablir des liens familiaux distendus. En s’attachant à la façon dont ces violences ont été définies dans des contextes différents, en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique latine, cet article a pour ambition de donner à voir les perspectives variées que recouvrent des catégories d’action publique aussi diverses que violences conjugales, violences domestiques, violences intrafamiliales ou encore féminicides ou fémicides, et les conséquences que ces différentes visions du problème ont sur sa prise en charge. Largement influencé par les études genre et la sociologie des problèmes publics, cet article, notamment à travers la présentation des contributions qui composent ce numéro de la revue Enfances Familles Générations, entend questionner les notions de violences de genre dans le cadre familial, dont les frontières sont fluctuantes et investies de façon variée, ainsi que les formes d’institutionnalisation du problème et les solutions qui sont envisagées.
Mots-clés: violences envers les femmes, violences domestiques, violences conjugales, genre, politique publique, problème public
Les violences conjugales, familiales et structurelles : vers une perspective intégrative des savoirs
Geneviève Lessard, Lyse Montminy, Élisabeth Lesieux, Catherine Flynn, Valérie Roy, Sonia Gauthier, Andrée Fortin
La violence conjugale est un problème social grave et persistant ; le tiers des femmes de la planète en a déjà été victime. Cet article vise à discuter des liens empiriques et théoriques entre les violences conjugales, familiales et structurelles. L’article débutera par une brève mise en contexte décrivant comment la violence conjugale s’est construite comme un problème socio-pénal au Québec. Les principales lacunes des connaissances actuelles dans le domaine seront ensuite identifiées, démontrant ainsi la nécessité de mieux comprendre les liens complexes entre les violences conjugales, familiales et structurelles, trois concepts dont les définitions pourraient s’enrichir et se compléter mutuellement. Cet article soulignera l’importance de prendre en considération les réalités diversifiées auxquelles sont confrontés les acteurs concernés par ces violences (femmes, hommes et enfants), en privilégiant une analyse globale qui intègre non seulement les facteurs individuels et interpersonnels, mais aussi les facteurs sociaux et structurels, notamment les oppressions liées au genre ou à d’autres marqueurs de l’identité sociale. La discussion sera enrichie par des modèles théoriques décrivant les différentes dynamiques de violences conjugales et familiales ainsi que par le féminisme intersectionnel, qui s’avère fort utile pour l’analyse des violences structurelles. La conclusion traitera des retombées potentielles d’une analyse des liens entre les violences conjugales, familiales et structurelles sur les politiques sociales et les programmes d’intervention pour les victimes, les agresseurs et les enfants exposés à la violence conjugale.
Mots-clés: violence conjugale, violences envers les femmes, violence familiale, violence structurelle, intersectionnalité
Paternité en contexte de violence conjugale : regards rétrospectif et prospectif
Michel Labarre, Valérie Roy
Cet article retrace l’évolution des champs d’études « paternité » et « violence conjugale » afin de mieux saisir comment ils en sont venus à se croiser au tournant des années 2000. D’une part, le développement de la recherche sur la paternité de même que des politiques et programmes sociaux faisant la promotion de la paternité ont contribué à créer un climat social valorisant l’engagement paternel. D’autre part, certains thèmes de recherche en violence conjugale (par exemple, les conséquences de la violence sur les enfants) et certains axes d’intervention (par exemple, la protection de la jeunesse) ont soulevé des préoccupations à l’égard de l’engagement des pères ayant des comportements violents. Ces éléments ont progressivement contribué à la reconnaissance sociale de la problématique de la paternité en contexte de violence conjugale et, par la suite, aux initiatives pratiques et scientifiques en la matière. Notre analyse met en lumière la nécessité d’atteindre un équilibre entre soutien et contrôle dans les pratiques et politiques en matière de paternité en contexte de violence conjugale. Elle suggère également quelques réflexions quant à l’évaluation de programmes et aux pistes de recherche à explorer.
Mots-clés: paternité, violence conjugale, intervention, évaluation des programmes
Conflits entre conjoints ou contrôle des hommes sur les femmes ? L’expérience et le point de vue d’enfants et d’adolescents exposés à la violence conjugale
Simon Lapierre, Isabelle Côté, David Buetti, Amélie Lambert, Geneviève Lessard, Marie Drolet
Cet article présente les résultats d’une recherche empirique réalisée avec des enfants et des adolescents qui ont été exposés à la violence conjugale, dans le but de mieux comprendre leur expérience et leur point de vue sur la violence conjugale. Plus particulièrement, cet article s’intéresse à la façon dont ces jeunes définissent la violence conjugale. Privilégiant une méthodologie qualitative et participative, des groupes de discussions ont d’abord été réalisés avec 20 participants, suivis de 46 entrevues individuelles. Les participants étaient des enfants et des adolescents québécois et franco-ontariens qui ont été exposés à la violence conjugale. Dans l’ensemble, les résultats révèlent que, si la définition proposée par les enfants et les adolescents met l’accent sur l’exacerbation des conflits, renforçant ainsi le discours sur la symétrie de la violence conjugale, les expériences vécues mettent plutôt en évidence les inégalités liées au genre ainsi que le pouvoir et le contrôle des hommes sur les femmes.
Mots-clés: violence conjugale, enfant, adolescent, recherche qualitative, perspective féministe
La violence conjugale à l’épreuve de l’État social : une comparaison franco-états-unienne
Pauline Delage
À partir de la fin des années 1970, les associations féministes qui prennent en charge le problème de la violence conjugale se sont insérées dans le secteur social, avec plus ou moins de succès, et ont bénéficié de financements venant de l’État. Dans une période de reconfigurations de l’État social, qui affectent notamment les modes d’attribution des budgets publics, celui-ci perd en légitimité symbolique et voit ses fonctions se modifier. Quels sont les effets de ces mutations sur la prise en charge, étatique et associative, du problème de la violence conjugale ? La comparaison entre la France et les États-Unis met en lumière un paradoxe concernant l’évolution de la cause dans ces deux contextes institutionnels et politiques. Alors que l’État social est moins fort aux États-Unis qu’en France, la légitimité de la cause dans l’espace social permet de créer des droits spécifiques aux femmes victimes et d’instaurer notamment un régime d’exception les prémunissant des contraintes du workfare. Parallèlement, en France, les organisations féministes œuvrent toujours à la pleine reconnaissance de ce problème public et semblent davantage menacées par les réductions budgétaires. En s’appuyant sur une enquête ethnographique menée principalement dans le comté de Los Angeles et en région parisienne, cet article propose de retracer les trajectoires de la cause de la violence conjugale prisme des transformations provoquées par les mutations de l’État social.
Mots-clés: violence conjugale, France, États-Unis, État social, politique publique, prise en charge de la violence, approche ethnographique, approche socio-historique
Feminicidio / femicidio : les enjeux théoriques et politiques d’un discours définitoire de la violence contre les femmes
Marylène Lapalus
Cet article s’intéresse au travail de reformulation discursive et définitoire des violences contre les femmes par les intellectuelles latino-américaines, au Mexique et au Costa Rica, depuis vingt ans. Il se donne comme objectif d’identifier les stratégies définitoires utilisées par les concepts de femicidio et feminicidio pour dénoncer, conceptualiser et politiser la violence vécue, en particulier dans l’espace intime. En combinant les apports de la réflexion sociologique et linguistique, cette contribution souligne les dynamiques croisées entre contexte de mobilisation, formulation discursive de nouveaux concepts et mise à l’agenda public de nouvelles catégories juridiques.
Mots-clés: femicidio, feminicidio, violences envers les femmes, violence de genre, violence conjugale, violence familiale, féminisme, pénalisation de la violence
La compréhension des violences faites aux femmes comme problème public dans un contexte post-dictatorial : étude comparée des cas espagnol et chilien
Fabiola Miranda-Pérez, Anne-Claire Sanz-Gavillon
Depuis la fin des dictatures, en Espagne et au Chili, une importance croissante a été accordée aux politiques d’égalité, notamment à la faveur de l’action des mouvements féminins et féministes qui ont apporté de nouveaux outils permettant d’analyser la réalité sociale. Dans ce contexte, les violences envers les femmes ont pu être conceptualisées comme un problème public et la lutte contre ce phénomène s’est peu à peu convertie en un des axes principaux de l’action publique en matière d’égalité hommes-femmes. La prise en charge de cette question, par les deux États étudiés, s’est traduite par une série de négociations impliquant les différents acteurs du jeu politique. Il en a résulté l’adoption de deux lois reflétant deux lectures différentes du phénomène qui se sont matérialisées dans les expressions de « violence de genre » (violencia de género) et de « violence intrafamiliale » (violencia intrafamiliale). Dans cet article, nous chercherons à analyser les contextes qui ont influencé la compréhension du problème de la violence envers les femmes en Espagne et au Chili. Nous interrogerons les deux approches qui ont été retenues – soit la violence de genre et la violence intrafamiliale – et la portée de ces choix.
Mots-clés: politique publique, femme, violence conjugale, Chili, Espagne
L’émergence des violences sexuelles intrafamiliales : un appui pour la visibilité des violences sexuelles en France dans les statistiques françaises ?
Alice Debauche
Les violences sexuelles ont été reconnues comme un problème social au cours des années 1970 et 1980 à la faveur des mobilisations sociales féministes et de leur relais législatifs. Les différentes statistiques françaises sur les violences sexuelles montrent toutes une tendance à l’augmentation depuis le début des années 1980, que ces statistiques proviennent de sources administratives (police, justice), de données d’enquêtes ou des associations d’assistance aux victimes de violences sexuelles. Une analyse détaillée de ces données permet de mettre en évidence le rôle central des violences sexuelles subies par des mineurs, particulièrement au sein de la famille, dans cette augmentation. Ces violences, qui font depuis le milieu des années 1990 l’objet d’une attention croissante de la part des médias et des politiques publiques où elles incarnent souvent le crime absolu, semblent plus fréquemment que les autres formes de violence sexuelles donner lieu à des déclarations, de la part des victimes aussi bien que des divers intervenants de l’enfance. Ainsi, l’augmentation importante des condamnations entre le début des années 1980 et les années 2000 est principalement le résultat de l’augmentation des condamnations pour viols par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime et pour viols sur mineurs de moins de 15 ans.
Mots-clés: violences sexuelles, abus sexuels, violences intrafamiliales, statistiques publiques
Un double ancrage : liens familiaux et insertion sociale des enfants d’immigrés philippins en France
Asuncion Fresnoza-Flot
La migration des parents philippins vers la France entraîne une séparation familiale qui prend fin lorsque le parent migrant rentre définitivement au pays ou lorsque les enfants précédemment « laissés en arrière » viennent le retrouver en France. Ils rejoignent alors les rangs de la « génération 1,5 » – définie comme les migrants dont l’enfance ou l’adolescence s’est déroulée en partie dans leur pays d’origine, puis dans leur pays d’accueil. Comment ces individus au parcours complexe décrivent-ils leurs relations avec leurs parents migrants avant et après la réunification familiale ? Quel rôle leur famille, et notamment leurs parents, jouent-ils dans leur insertion dans leur société d’accueil ? Cet article examine la trajectoire migratoire de la génération 1,5 des immigrés philippins en France et son expérience familiale. Le travail de terrain mené en France montre que les enfants restés au pays entretiennent avec leurs parents migrants une relation à distance caractérisée par un fossé émotionnel dont ils ne réalisent l’existence qu’en arrivant en France. Pourtant, malgré cet effet de la séparation familiale, les enfants des immigrés philippins se tournent en priorité vers leurs parents et leur famille étendue pour faire face aux défis posés par leur immigration. Pendant qu’ils construisent leurs points d’ancrage en France, ces jeunes migrants maintiennent leurs liens émotionnels avec leur pays d’origine, un double ancrage qui souligne la spécificité de ce groupe parmi les enfants de migrants.
Mots-clés: génération 1.5, réunification familiale, insertion sociale, double ancrage, génération, migrant, Philippines
Représentations sociales et parentalité : les points de vue des parents présentant une déficience ou une lenteur intellectuelle
Élise Milot, Daniel Turcotte, Sylvie Tétreault
Cet article présente les résultats d’une étude exploratoire québécoise portant sur les représentations sociales (RS) de la parentalité des personnes ayant une déficience ou une lenteur intellectuelle (DI/LI). Neuf parents ont participé à des entrevues individuelles semi-structurées. Pour les cinq répondants ayant conservé la garde de leurs enfants, la parentalité symbolise l’accès à un rôle hautement désiré dont l’exercice suscite fierté, valorisation, reconnaissance sociale et détermination. Pour ceux qui vivent leur parentalité à travers l’expérience du placement de leurs enfants, leur représentation est davantage teintée par des sentiments d’injustice, de souffrance et de disqualification. Ceux-ci émergent en effet de leurs échanges avec les intervenants en protection de la jeunesse et les membres de leur entourage. La réflexion proposée porte sur les facteurs pouvant freiner ou favoriser le développement d’une identité parentale positive et un réseau de soutien à la parentalité adéquat.
Mots-clés: représentation sociale, attitudes, parentalité, soutien à la famille, identité parentale
Quand les jeunes issus de familles nombreuses envisagent de devenir parents : l’influence de la socialisation primaire sur le nombre d’enfants souhaités
Martine Court, Julien Bertrand, Géraldine Bois, Gaële Henri-Panabière, Olivier Vanhée
Depuis les années 1980, de nombreuses études ont montré que les individus issus de familles nombreuses ont tendance à désirer et à avoir eux-mêmes un nombre élevé d’enfants. Pour autant, cette reproduction à l’âge adulte du type de famille que l’on a connu pendant l’enfance ne va pas de soi. Le fait d’avoir grandi dans une fratrie nombreuse ne suffit pas à lui seul à faire naître chez les individus le désir d’avoir à leur tour de nombreux enfants. L’émergence de ce désir suppose un certain nombre de conditions sociales. Cet article analyse ces conditions, en s’intéressant au rôle de la socialisation primaire. Il décrit en particulier trois types d’expériences socialisatrices susceptibles de favoriser ou au contraire de défavoriser la construction de l’aspiration à avoir soi-même un grand nombre d’enfants chez les jeunes issus d’une famille nombreuse : les souvenirs plus ou moins heureux que les individus gardent de leur enfance, leur implication dans la prise en charge de leurs cadets et leur perception de l’expérience de leurs parents. Dans chaque cas, l’article montre que les expériences socialisatrices associées au désir d’avoir soi-même un grand nombre d’enfants ne sont pas réparties de manière uniforme au sein de l’espace social.
Mots-clés: familles nombreuses, socialisation, fécondité, genre, inégalités sociales