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Vivre avec une assistance animale, ou comment la présence d’un chien guide d’aveugle redéfinit les relations du déficient visuel avec les autres membres de la famille

Yasmine Debarge

Cadre de la recherche : La situation de handicap entraîne une ou des formes de dépendance de la personne handicapée vis-à-vis de son entourage ou de professionnels. Des aidants, membres de la famille, sont alors sollicités de façon plus ou moins récurrente pour accompagner la personne dans les activités qu’elle ne peut accomplir seule. Animés par des pratiques relevant du care (du « soin à l’autre ») (Garrau et Le Goff, 2010), des liens particuliers, différents des relations ordinaires, se nouent en conséquence, notamment avec les parents. Ce type de relation fondée sur la dépendance interroge les modèles familiaux occidentaux, qui tendent à favoriser les liens électifs entre individus, ce qui dénote un mouvement d’autonomisation (De Singly, 2000) des individus et un primat de l’affection. La personne handicapée est alors prise entre deux forces contraires : la nécessité de faire appel à ses proches et/ou à des personnes ou des institutions extérieures, et la volonté d’être plus autonome ou aussi autonome qu’une personne non handicapée (De Singly, 2000). C’est précisément entre ces deux forces qu’intervient l’assistance animale, et plus précisément, ici, le chien guide. En tant qu’être vivant, le chien guide apporte un soutien quotidien à son maître, lui permettant d’adopter un rôle différent vis-à-vis des autres membres de la famille.

Objectifs: L’objectif de cette enquête exploratoire est d’identifier les pistes de recherche autour de cette thématique de l’assistance animale. En effet, le gain d’autonomie par rapport à la famille et le soulagement que cela peut représenter pour les tiers aidants transforment des relations intrafamiliales initialement modifiées par le handicap. En parallèle se noue une relation d’affection spécifique à l’animal, qui lui vaut une place particulière au sein de la famille. Le chien n’a pas un statut de simple animal familier et n’est pas non plus un travailleur du care ordinaire. Il s’agit donc de comprendre les conséquences de l’assistance animale sur la façon dont la personne handicapée joue ses rôles au sein de la famille et d’éclairer les transformations de la place du chien dans les sociétés occidentales contemporaines à partir du statut du chien guide au sein de familles comptant une personne handicapée.

Méthodologie: En France, l’Association Nationale de Maitres de Chiens Guides d’Aveugles (ANMCGA) a pris contact avec certains de ses adhérents les plus actifs afin de les informer de cette enquête. À la demande de l’enquêtrice et afin d’obtenir un échantillon le plus hétérogène possible, l’ANMCGA a sélectionné les répondants en fonction de critères de sexe, d’âge et de situation familiale. Onze entretiens semi-directifs d’une demi-heure à une heure ont été menés avec des maîtres de chiens guides. Des séquences de ces entretiens, en particulier de description d’évènements particuliers ont été analysés.

Résultats: Il est montré comment le chien guide soutient son maître dans l’exercice de ses rôles d’enfant, de conjoint, de parent ou de grand-parent, notamment par le degré d’autonomie qu’il confère à son maître. Il est également décrit comment les proches et les moins proches accueillent l’assistance animale et intègrent ou non le chien dans le fonctionnement de la famille. En effet, grâce au chien, le maître peut se déplacer sans aide et accomplir toutes sortes d’activités qu’il n’aurait pu faire seul. Les aidants n’ont plus alors à adopter le même comportement de vigilance en présence de la personne déficiente visuelle. Le chien joue donc une fonction d’appui du maître dans ses rôles familiaux.

Conclusion: Cette étude exploratoire permet de conclure que le chien joue une fonction d’appui dans les rôles familiaux en aidant le maître à remplir les rôles de fils/fille (d’un parent âgé), conjoint, mère/père, grand-mère/grand-père… L’ensemble des différentes phases de la vie exige aujourd’hui dans notre société une certaine autonomie et les rôles qui leur correspondent mobilisent des liens de solidarité familiale qui se reconfigurent en fonction de l’autonomie de chacun. L’assistance animale permet à la personne déficiente visuelle d’accomplir des activités qu’elle aurait eu plus de mal à réaliser sans son chien. De plus, l’assistance animale soulage les proches d’une inquiétude qui dans certains cas peut avoir un impact sur les dynamiques relationnelles. La présence constante des chiens auprès de leur maître les insère complètement dans toutes les activités familiales, contrairement à d’autres chiens ou animaux domestiques qui ne peuvent accéder à tous les lieux dans lesquels les membres d’une même famille sont amenés à évoluer et se retrouver. Ainsi, le travail de care accompli par le chien génère une dette à son encontre, à fortiori de la part de la personne déficiente visuelle qui considère qu’elle doit prendre soin de l’animal lorsque celui-ci rencontre des difficultés, mais également fréquemment par extension de la part des proches de la personne déficiente visuelle.

Contribution: À notre connaissance, aucune étude similaire n’a été réalisée auparavant.




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